Une colère américaine

January 29, 2017 — General

C'est à dire que je ressens assez personnellement la manière dont Trump joue avec le parapheur de la Maison Blanche comme si il était un enfant de 8 ans.

J'ai un poster eBoy représentant New York au-dessus de mon lit et une photo, prise et offerte par ma (at-the-time) femme, du San Remo se reflétant dans le Reservoir de Central Park, au-dessus de mon bureau.

Est-ce que c'est suffisant pour légitimer l'expression de la colère sourde qui monte en moi lorsque je vois ce que deviennent les États-Unis ? Ou est-ce que je devrais plutôt me taire et me ranger proprement dans les soutiens de ceux qui vont subir directement les actions erratiques d'un milliardaire mégalomane ?

À New-York, j'ai appris à boire, à manger, à séduire, l'économie, la politique, le travail, à vivre seul et par mes propres moyens, ma responsabilité vis-à-vis de la société en tant qu'homme de science.

C'était l'année 2007. En janvier, la neige recouvrait le campus de Columbia et nous buvions des chocolats bien au chaud derrière les vitrines embuées du Hungarian Pastry Shop.

Lorsqu'il a fallu choisir une destination pour le voyage de noces, on ne s'est pas posé la question bien longtemps. On a fait un tour des États-Unis. Pas parce que c'était exotique, pas parce que c'est un "voyage à faire dans sa vie". C'était simplement l'occasion de croire, pendant 1 mois, que dans ce pays j'étais chez moi. Je n'ai même pas cessé de travailler pendant ce temps là. On est sorti, on s'est reposé, on a flâné à pieds, en taxi, en voiture, en métro, en tram, on est allé au cinéma, on a dîné, comme on faisait à Paris, comme si on habitait là-bas, à New York, Los Angeles ou Chicago.

C'était en octobre 2015. La vitrine trouée par la balle perdue des attaques de janvier en bas de mon immeuble avait été depuis longtemps remplacée. Il faisait bon, il faisait beau et je venais de me marier.

Mes parents m'ont toujours laissé regarder la télévision sans grand contrôle, sauf quand il s'agissait d'un programme que ma mère jugeait violent (« Y a un carré blanc, Pascal, c'est violent ou sexuel ? – Y a probablement un peu de cul – Ok, les enfants, vous pouvez regarder »), et donc, par construction, beaucoup de séries américaines. C'est l'imaginaire qui s'est cristallisé dans mon esprit, que j'ai perpétué ensuite en téléchargeant des séries en VO (Alias, The OC, Gossip Girl) et en allant au cinéma. Des envies de vie à New York ou Los Angeles. Mais aussi une expression particulière du sentiment amoureux calquée sur les personnages que je suivais à chaque épisode. Je n'ai pas eu besoin qu'on m'explique le concept de "date" comme à bon nombre d'autres étudiants internationaux. Quand "it's complicated" est apparu sur Facebook, ça n'était pas un concept neuf. Il y avait chez mes compatriotes français ou bien une romanticisation extrême des concepts de la relation amoureuse (l'infinie douleur d'une rupture, vagues sur les falaises et vent dans les cheveux) ou bien la banalité d'un lien interpersonnel prosaïque (je me rappelle ce couple qui "sortait ensemble" et que je n'ai jamais vu se parler sinon pour se dire « à demain » après s'être roulé des pelles à l'arrêt de bus). Il manquait à mes premières histoires d'amour le panache flamboyant des comédies romantiques avec Drew Barrymore. Panache flamboyant parfaitement vivant dans ma tête et dont l'élue, souvent peu encline à la réciprocité, n'avait, évidemment, aucunement connaissance. Ça aurait fait désordre.

La bonne nouvelle, c'est que je n'étais pas le seul et l'entertainment hollywoodien a fait son œuvre dans les esprits de jeunes filles qui avait l'heur de plaire à mes goûts assez stricts. Sources infinies d'anecdotes à rebondissements, tiroirs et digressions à raconter aux dîners entre amis, comme si je vivais un scénario de Richard Curtis. J'avais trouvé avec qui partager mon "sens du drame anormalement développé".

Cue janvier 2017 et de ces rêves cristallisés des 10 années précédentes, il ne me reste pas grand chose. Le divorce me renvoie sur le ring des amours non partagées, l'état de peur institutionalisé nous empêche de nous promener tranquillement dès lors que l'on porte un sac et il semblerait que l'entrée en territoire américain soit, a minima, compliquée pour les années à venir. New York, peut-être ne te reverrai-je pas avant ma prochaine décennie.

Il y a dans ces décisions présidentielles de repli sur soi et de fermeture aux autres, d'abandon de la raison et de la science, de dé-sémantisation du langage ; une négation profonde ce que les États-Unis ont été pour moi et de la manière dont je me suis construit et continue à me construire pour affronter ma vie d'adolescent, d'adulte, au quotidien.

Je ne suis pas américain, je ne suis pas musulman. Je suis français et la seule chose que nous puissions faire désormais, c'est nous assurer que tous ceux qui ont grandi avec une image constructive de la France, ceux qui ont été inspirés par notre language, notre culture, qu'ils soient nés ici ou ailleurs ; que tous ceux là ne se sentent pas leur existence niée ou trahie par ceux que la majorité d'entre nous éliront en mai.