Conscience

November 8, 2011

J'ai repris conscience du monde qui m'entoure vendredi à 8h37 quand, pour la première fois depuis des mois, probablement avant même le dernier post en date de ce blog (ça faisait tellement longtemps que je n'étais pas venu ici que j'avais oublié lequel de mes mots de passe habituels j'avais utilisé), je me suis emparé d'un 20Minutes à l'entrée du métro La Fourche.

Il y avait un article sur des intégristes catholiques protestant contre une pièce de théâtre blasphématoire. C'était quelques jours après l'incendie de Charlie Hebdo, du coup on leur demandait, à ces braves catholiques venus prier devant le théâtre après le travail et jusque tard dans la nuit (23h), ce qu'ils pensaient des caricatures de Mahomet. Dans une volonté de dramatiser l'information, c'est un jeune homme radical qui est cité et déclare que l'Islam, c'est pas son problème, lui, il est catholique et français et c'est tout ce qui l'intéresse. Alors évidemment, et heureusement, ces gens ne représentent qu'une tout petite partie de la population, et c'est dommage qu'ils fassent tant de bruit (que ce soit en priant ou en mettant le feu) mais surtout c'est leur existence même qui m'interpelle. À quel moment, en 2011, en France, on devient intégriste religieux ? Les gens vont plus à l'école ? Que l'on croit en un être supérieur, qu'il inspire, qu'il soit un guide moral, je veux bien. Mais depuis 2000 ans maintenant, il me semble qu'on a suffisament interprété les textes sacrés pour ne plus avoir à expliquer à personne qu'il ne faut pas les prendre au pied de la lettre. Surtout qu'appliquer un texte rédigé il y a quelques millénaires aujourd'hui pose un léger problème de contexte et de temporalité. Puis j'ai vu un sondage qui soulignait que 15% des Français étaient complètement convaincus par l'existence du mentalisme.

Et puis il y avait la Grèce, la fin de l'univers économique connu, la chute, la crise, on va tous mourir si on sauve pas la Grèce. Alors on occupe Wall Street pour que Sarkozy ne paie pas sa nuit au Martinez au prix du salaire annuel d'un développeur avec deux ans d'expérience. Et ça marche puisqu'il freeze son salaire. Et c'est ça qui est important. Et les mauvaises langues font des vannes comme quoi il a augmenté son salaire de 70% juste avant de le baisser. Parce que c'est ça qui compte. C'est de faire un bon mot et de le voir liké 18 fois et d'atteindre les 29 retweets. Pour changer le monde.

Ce matin, je me suis réveillé avec cette question en boucle dans ma tête, à laquelle je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante : Imaginons que vous me fassiez vraiment confiance. Et que je me tienne à côté de ce qui est manifestement un arbre tout ce qu'il y a de plus classique. Et que je déclare, fermement et avec aplomb que ce n'est pas un arbre. Que penseriez-vous ?

Une des justification du métier de trader (au-delà du biais de réussite qui convainc les amateurs de mentalisme que c'est parce qu'ils sont très bons en probabilité que les traders gagnent autant d'argent) c'est qu'ils servent à réguler le marché. Quand c'est trop cher d'un côté, bam, on achète de l'autre, on revend et la différence va dans la poche du trader. Ça marche aussi dans l'autre sens en jouant sur la temporalité des échanges (vas-y, shorte moi). J'avais commencé une traduction d'un passage du Baroque Cycle de Stephenson où Eliza expliquait le fonctionnement de tout ça à la cour de Louis XIV. Je ne l'ai jamais terminée, mais tout ça pour dire que s'amuser avec les inégalités du marché, on fait ça depuis longtemps. Mais alors, quelle est la légitimité du trader à s'enrichir sur le dos des hoquètements d'un Marché supposé parfait pour le reste du commun des mortels participant à l'économie ? Une blague d'économiste connue met en scène deux économistes, l'un qui croit à la perfection du Marché, l'autre qui n'y croit pas. Ils se promènent dans la rue et tombent sur un billet de 50€. Le non-croyant dit "oh, un billet de 50€", l'autre lui répond "c'est impossible, si il y en avait un, quelqu'un l'aurait déjà ramassé". Le non-croyant le ramasse alors et le fourre dans son porte-feuille. Le croyant pointe le sol du doigt : "tu vois, il n'y a rien". Au-delà d'illustrer la possibilité d'être divergent sur l'existence ou non d'un Marché parfait, posons la question la plus prosaïque possible en rapport avec cette anecdote : De quel droit le mec s'empare des 50€ pour les mettre dans son portefeuille ?!. Je ne sais pas où, dans la vraie vie, il faudrait rapporter les billets que l'on trouve dans la rue. À la police, à la Banque de France, au Trésor Public, à la Caisse des Dépôts ? En tout cas, à un organe neutre qui les dissoudra dans la piscine globale de l'échange monétaire. Le mec qui a perdu son billet, bah, ok, c'est pas de chance, il avait qu'à faire attention. Mais au moins, personne n'en profite. Ou plus exactement, tout le monde en profite.

Et là, je viens de me rendre compte que je suis pour taxer les échanges financiers et nationaliser les banques d'investissement. Tu m'aurais dit ça y a une heure, j'aurais dit "euh, mais trop pas". Maintenant, je vais aller lire des arguments contre.

Je reviens.